Musée d’art d’Expo : compte-rendu de la table ronde

Le mercredi 29 mai 2024, l’Institut du patrimoine de l’UQAM et Docomomo Québec organisaient une table ronde afin d’échanger au sujet du refus du ministre de la Culture et des Communications du Québec de classer l’ancien Musée d’art d’Expo 67. La rencontre fut fructueuse. Outre six panellistes, une bonne trentaine de personnes s’étaient déplacées pour débattre de la pertinence de protéger cet ancien pavillon dans le cadre de la Loi sur le patrimoine culturel du Québec. Construit pour l’Exposition internationale des beaux-arts Terre des hommes organisée dans le cadre de l’Exposition universelle et internationale de Montréal 1967, l’ancien pavillon situé à l’entrée de la Cité-du-Havre logea le Musée d’art contemporain de 1968 à 1992. Il fut transformé en entrepôt à la suite de sa vente à Loto-Québec en 1997.

Mentionnons la présence de l’historienne de l’art Louise Letocha qui, outre d’avoir dirigé le MAC de 1977 à 1982, fut la première présidente du Conseil du patrimoine de Montréal, de ses collègues de l’UQAM, la professeure Rose-Marie Arbour et le professeur émériteLaurier Lacroix, et de la directrice de la Galerie de l’UQAM, Louise Déry. Avaient de plus répondu à l’invitation les conservateurs du MAC François Letourneux et Mark Lanctot, le président de l’Ordre des architectes du Québec Pierre Corriveau, celui d’ICOMOS Canada, Mathieu Dormaels, et la directrice ajointe aux politiques d’Héritage Montréal Taïka Baillargeon. Notons la présence de Julie Bélanger connue pour ses actions en faveur du patrimoine d’Expo 67, de l’architecte Richard Lafontaine et de l’architecte du paysage Pauline Gayaud.

Les exposés

En premier, Lucette Lupien, citoyenne et résidente d’Habitat 67 depuis 35 ans, rappela les multiples démarches qu’elle a entreprises auprès des autorités afin d’assurer la préservation de l’ancien Musée d’art d’Expo 67. En 2017, elle s’inquiéta du piètre état du bâtiment auprès de son propriétaire Loto-Québec. Cette demande restant sans réponse, entre autres, elle introduisit une demande de classement auprès du ministère de la Culture et des Communications du Québec ainsi que de citation auprès de la Ville de Montréal. Lucette Lupien résume son engagement par une citation de Winston Churchill : « Le succès, c’est d’aller d’échec en échec, sans perdre son enthousiasme ».

France Vanlaethem et les étudiantes en architecture moderne et patrimoine de l’UQAM, Claire Caron et Catherine Lamarre, partagèrent les principales découvertes faites lors de l’étude menée cet hiver, dans le cadre d’un cours, en vue de préciser la valeur patrimoniale de l’immeuble.

D’abord un constat. Le Musée d’art est un des huit pavillons thématiques d’Expo 67, et le seul encore existant avec Habitat 67, des bâtiments réalisés par l’instance organisatrice. Cette catégorie était inédite dans le cadre de ce genre de manifestation. Pour concevoir le pavillon dédié au Génie créateur de l’Homme, fin 1963, la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967 fit appel à la Galerie nationale du Canada et à ses professionnels. En juin 1965, sa maquette était exposée. Depuis peu, il était question que l’institution muséale créée par le gouvernement provincial en juin 1964, le Musée d’art contemporain, s’installerait dans l’édifice après l’Expo plutôt que dans le Pavillon du Québec, comme prévu initialement.

L’exposition internationale des beaux-arts d’Expo 67 fut un événement exceptionnel non seulement vu l’importance des 200 œuvres exposées provenant de pays de 30 pays, mais encore vu les conditions qui prévalaient à leur présentation, parmi les plus avancées. Le bâtiment était doté de systèmes de contrôle climatique et d’éclairage performants. En fait, le Musée d’art d’Expo est le premier musée moderne au pays du fait de ses équipements hautement technologiques et de son architecture qui s’éloigne du type bâti traditionnel, néo-classique, représenté par le Musée de la province de Québec (aujourd’hui, Musée national des beaux-arts de Québec), entre autres. De plus, cette réalisation d’inspiration corbuséenne fut décisive pour la carrière de ses jeunes concepteurs, les architectes Paul Gauthier, Gilles Guité et Gilles Côté. Avec leur confère Jean-Marie Roy, les deux premiers formeraient une des plus importantes agences d’architecture des années 1970 et 1980, au Québec.

Afin d’éclairer le refus de classement et notamment l’affirmation selon laquelle « le Musée d’art contemporain actuel témoigne avec plus d’efficacité de l’histoire de cette institution », la professeure Christine Bernier rappela les relations ambivalentes que le ministère de la Culture du Québec entretient avec ses musées d’État, notamment les tergiversations qui entourèrent la création du MAC et son déménagement à la Place des arts. Qu’en déduire ? Que son désistement n’est qu’un nouvel épisode d’une histoire improbable ?

Le dernier exposé, celui d’Yves Bergeron, le directeur de l’Institut qui agissait par ailleurs comme président, permit de situer le Musée d’art d’Expo parmi ses semblables. Rares sont les institutions muséales pour lesquelles un édifice spécifique fut construit au Québec, hier comme aujourd’hui, et aucun n’est classé. La plupart sont logés dans des édifices patrimoniaux. En témoignent le projet des Espaces bleus et, tout récemment, celui du Musée national d’histoire. Deux périodes furent particulièrement effervescentes dans le domaine : celle d’Expo 67 qui déboucha sur la création de nombreux musées ; sur le plan intellectuel et professionnel, le tournant des années 1980, qui correspond au déménagement du MAC au centre-ville, à la Place des Arts.

Que retenir des échanges ?

De l’avis de ceux qui furent associés à la vie du Musée d’art contemporain à la Cité-du-Havre, l’édifice était des plus performant en regard des conditions climatiques et d’éclairage. Il constituait sans conteste une avancée. Néanmoins, des espaces dédiés à la conservation des œuvres et à la médiation manquaient. Par ailleurs, son accès était difficile à la fois pour les employés et le public.

Pour les historiens et les amateurs, sans conteste, le MAC à la Cité-du-Havre stimula le développement de l’art contemporain au Québec. La communauté artistique était attachée au lieu et les collectionneurs motivés par son dynamisme enrichirent par leurs nombreux dons sa collection. Plusieurs participants se souviennent d’expositions marquantes. L’histoire du MAC à la Cité-du-Havre est à faire. De plus, plusieurs soulignérent la qualité de l’architecture, certains qualifiant même l’édifice de chef d’œuvre.

Quant à la question posée, faut-il accorder un statut patrimonial au Musée d’art d’Expo ?

Un consensus s’est dégagé. Outre d’être une réalisation architecturale d’un grand intérêt, l’édifice témoigne d’un moment crucial de l’histoire de l’art contemporain au Québec ainsi que de la muséologie au Canada. Cependant, l’urgence n’est pas de le protéger, mais de l’entretenir.

Certes, l’attachement public est limité, un situation que ne favorise par sa localisation dans un secteur peu habité. Mais un tel déficit peut être résorbé par des initiatives de mise en valeur patrimoniale du lieu.

Les échanges au sujet de sa réutilisation furent particulièrement intéressants.

La vocation commerciale et communautaire envisagée dans le Plan directeur Bridge-Bonaventure est une solution intéressante, pour autant qu’elle soit durable. Le cas de la gare Jean-Talon restaurée par Loblaw et, aujourd’hui, abandonnée, fut rappelé. Ce qui l’est moins pour bien des participants est le développement planifié pour le secteur localisé entre le Musée et l’immeuble résidentiel Tropiques nord : une demi-douzaine de hautes tours résidentielles totalisant 2 600 unités de logement.

Mais l’usage suggéré, est-il le meilleur pour une ancienne galerie d’art ?

L’étroite concordance entre l’architecture de l’édifice et les évéments artistiques dont il fut le creuset aiguillonna l’exploration de nouvelles vocations.

Le bâtiment ne pourrait-il pas être une antenne du MAC où les œuvres modernes de la collection seraient exposées ? Les Borduas, Pellan, Ferron, Molinari… L’art et son écrin seraient en concordance. Une telle transversalité est de plus intéressante, non seulement en regard du contenu mais encore de l’expérience.

Dans un même esprit, une autre voie fut proposée, expérimentale, celle d’une mise en exposition dans une perspective culturelle plutôt qu’historique : montrer dans quelle mesure l’art moderne configure l’environnement de la quotidienneté. Le musée du centre-ville se concentrerait sur les thématiques du présent.

Pour terminer, mentionnons que la rumeur selon laquelle le Parc Jean-Drapeau envisagerait de faire du Musée un pavillon d’accueil, un projet néanmoins non prévu au Plan directeur du Parc, ni au budget de la Société du Parc-Jean-Drapeau.

France Vanlaethem 2024-08-28

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