Favoriser l’appropriation du square Viger à Montréal

Dans le livre Patrimoine en devenir, nous constatons que l’architecture moderne est fragile et peu populaire et, encore plus, l’architecture de paysage moderne dont les réalisations se distinguent des parcs, squares et jardins anciens par leurs aménagements plus motivés par l’usage que par l’esthétique et où plus d’une fois le minéral domine le végétal. Résultat : la plupart des créations paysagères des années 1960 ont été soit profondément altérées, soit rasées. Une des dernières de ce genre ayant survécue jusqu’à présent à un tel sort, est le square Viger ou du moins sa partie est. Cet «environnement» intitulé Agora fut conçu par le sculpteur québécois de réputation internationale, Charles Daudelin, dans le cadre du réaménagement du square commandé au milieu des années 1970 par le ministère des Transports du Québec, par ailleurs, maître d’ouvrage de l’autoroute Ville-Marie qui passe en sous-sol. Cependant il n’est qu’en sursis. Après l’avoir négligé, la Ville de Montréal envisage de le raser depuis plusieurs années pour le remplacer par un espace public conventionnel.

Un projet permettra peut être d’enrayer la mauvaise réputation du lieu jugé mal fréquenté et inaccessible, enserré qu’il est au nord et au sud par des rues réduites au rôle de voie rapide, celui de la Corporation de développement urbain du Faubourg Saint-Laurent, organisme de concertation et mise en valeur du quartier. En vue de l’occupation dès cet automne du Centre de recherche du Centre hospitalier de l’université de Montréal (CRCHUM) qui est en construction à l’est, la corporation propose de créer des halles gourmandes et culturelles au square Viger afin d’offrir dès le printemps 2014 aux chercheurs, employés et étudiants qui travailleront dans le nouveau bâtiment, des services de restauration et des aires de détente. Plus de trente ans après son inauguration, le square trouverait ainsi sa pleine vocation. En effet, comme le rappelait Danielle Doucet, responsable des dossiers d’art public au sein de Docomomo Québec, dans la lettre de demande classement envoyée à la ministre Christine St-Pierre en avril 2009, Charles Daudelin conçut Agora comme «un lieu d’échanges et d’activités marchandes de proximité avec ses espaces ombragés sous les pergolas, un lieu de culture avec sa scène entourée d’eau et de gradins, un lieu de détente avec ses coins plus privés et ses jardins» : la sculpture devient ici «environnement», oeuvre unique par sa taille urbaine et sa géométrie moderne et témoin d’un moment de l’histoire de la ville et de son paysage.

Docomomo Québec ne peut que se féliciter de cette initiative. L’un des enjeux majeurs de la préservation n’est-il pas d’assurer le plein et bon usage des biens ? Depuis plusieurs années, Docomomo Québec revendique la préservation d’Agora. Comme nous le rappelions en 2012 dans un projet d’article, dès 2005, Docomomo Québec collaborait avec le centre d’artistes Dare-Dare afin de mettre en valeur le square en offrant au public des visites commentées et, un an plus tard, avec Héritage Montréal, à la coalition naissante pour la sauvegarde d’Agora qui depuis s’est élargie à Culture Montréal et au Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV). En 2007, il présentait le square Viger dans le guide publié sous le titre Sur les traces du Montréal moderne et du domaine de l’Estérel au Québec. En 2009, il s’associait à la demande de classement introduite par la coalition dans le cadre de la Loi sur les biens culturels du Québec, une requête qui fut rejetée, l’oeuvre n’ayant pas la valeur prétendue selon les autorités.

Quatre ans plus tard, malgré l’intense activité constructive aux abords du square, Agora est toujours debout et ses défenseurs toujours actifs. Notre exploration des réalisations de l’architecture de paysage moderne au Québec a confirmé notre évaluation de l’oeuvre, une production hybride, entre art et architecture. A notre connaissance, en plus d’être une oeuvre unique de Charles Daudelin, cet environnement est le seul aménagement paysager moderne de cet envergure qui subsiste. Depuis peu, une page facebook a été créée par le RAAV afin de sauver le square Viger. FVL-8-9-2013

Pour en savoir plus

Corporation de développement urbain du Faubourg Saint-Laurent, Amélioration des services de proximité. Halles gourmandes et culturelles au Square Viger, juin 2013.

Doyon, Frédérique, «Une deuxième vie pour le square Viger», Le Devoir, 9 septembre 2013, en ligne

Doyon, Frédérique, «Décryptage – Le square Viger, le mal-aimé de l’art public», Le Devoir, 26 août 2013, en ligne. Consulté le 8 septembre 2013.

«Square Viger de Montréal», facebook, en ligne. Consulté le 8 septembre 2013.

Vanlaethem, France, Patrimoine en devenir : l’architecture moderne du Québec, Québec, Publications du Québec, 2012, p. 154-157.