Raser l’église Saint-Louis-de-France, une manière de faire acceptable ?
À la suite de l’annonce faite par le gouvernement du Québec, le 17 juin 2020, de la construction prochaine d’une première maison des aînés à Québec, un édifice moderne a fait les manchettes des journaux et des médias : l’église Saint-Louis-de-France bâtie en 1960-1961, sur le plateau de Sainte-Foy. Est interrogée sa démolition planifiée par le ministère de la Santé et des Services sociaux afin de faire place au nouvel équipement, alors que, sans être classé ni cité dans le cadre de la Loi sur le patrimoine culturel, l’édifice présente un intérêt patrimonial certain.
Une église unique
La destruction d’éléments patrimoniaux est toujours révoltante pour ceux qui défendent la présence de l’histoire et de la mémoire dans le paysage. L’église Saint-Louis-de-France est un de la petite dizaine de lieux de culte catholique érigée sur le plateau de Sainte-Foy, au cours des années 1960, alors que l’urbanisation avait gagné ce territoire. De 1949 à 1964, sa population était passée d’environ 3 000 habitants à plus de 40 000 ! Aussi, la paroisse ancestrale de Notre-Dame-de-Foy — elle fut érigée en 1678 — fut à nouveau fragmentée. Neuf nouvelles circonscriptions ecclésiastiques furent fondées entre 1950 et 1964, et, toutes, firent construire leurs lieux de culte. Parmi ceux-ci, Saint-Louis-de-France est le premier à être bâti ; suivent les églises Saint-Yves (1962), Sainte-Ursule (1964), Sainte-Geneviève (1966), Saint-Mathieu (1966), Saint-Benoît-Abbé (1967), Saint-Jean-Baptiste-de-LaSalle (1967) et Notre-Dame-de-Foy (19xx). Toutes sont de facture moderne.
L’église Saint-Louis-de-France se distingue par sa volumétrie dominée par le tambour polyédrique logeant le sanctuaire et la nef, ornementé d’un grand panneau fleurdelysé. À l’arrière se profilent trois volumes rectangulaires adjacents abritant les salles communautaires et le presbytère. Un tel plan à la fois compact et fragmenté découlerait de considérations fonctionnelles et paysagères, selon l’article publié dans la revue Architecture Bâtiment Construction en mars 1962. La forme carrée du terrain et la volonté de préserver un maximum d’arbres auraient joué. Par ailleurs, une salle d’assemblée circulaire permet une grande proximité entre les célébrants et les fidèles : ici, moins de 18 mètres séparaient les premiers des seconds, malgré leur nombre – 1 200 – et qu’ils fussent installés au rez-de-chaussée ou au jubé. Bien que d’apparence monolithique, les 16 portiques de la charpente qui convergent vers le puits de lumière qui perce la couverture en son centre, sont en acier, tout comme la flèche du clocher qui le surmonte. La céramique du haut tympan qui surmonte l’entrée principale est une création du graphiste Jean Arcand.
Robet Blatter, un précurseur
L’église Saint-Louis-de-France est une œuvre de l’agence Blatter et Caron établie à Québec. Formé à l’architecture en Suisse, son pays d’origine, Robert Blatter (1899-1998) arriva au Québec en 1926, avec son patron, l’architecte français Maxime Roisin qui collaborait régulièrement avec des confrères de Québec. Resté de ce côté de l’Atlantique, Blatter travailla d’abord pour d’autres, tout en concevant les premières villas modernistes de la capitale, à commencer par la maison Bélanger (1927), démolie, tout comme la maison Bourdon (1934). En 1937, il s’associa à l’architecte G. Fernand Caron, diplômé de l’École des beaux-arts de Québec en 1930. La firme acquit sa pleine reconnaissance professionnelle, alors qu’en 1950, Blatter devint membre de l’Association des architectes de la Province de Québec. Ensemble, en 1939, ils signent la maison Kerhulu (1939, 1945), une villa dont l’architecture est qualifiée de « révolutionnaire pour le Québec d’alors ». Parmi leurs productions, notons l’hôpital Saint-François d’Assise (1948), le Colisée de Québec (1949) et l’hôpital des Anciens Combattants (1950), tous réalisés en collaboration. Les deux autres lieux de culte inventoriés nom de Fernand Caron, l’église Sainte-Anne (1948) à Manicouagan et Notre-Dame-du-Très-Saint-Rosaire (1953) à Beaupré, présentent une architecture traditionnelle.
Une démolition choquante
L’annonce de la démolition prochaine de l’église Saint-Louis-de-France est d’autant plus choquante que le Vérificateur général signale dans son rapport publié quelques jours plus tôt, le manque d’exemplarité de l’État et l’absence de leadership du MCC en matière de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine immobilier. Interviewé par Radio Canada, l’attaché de presse de la ministre précisa que l’autorisation du ministère n’est aucunement nécessaire pour quelque intervention que ce soit concernant ce lieu de culte, celui-ci n’étant pas classé. Assurément, l’immeuble n’est pas protégé en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel du Québec. Il est néanmoins reconnu de valeur patrimoniale « exceptionnelle » dans l’Inventaire des lieux de culte du Québec réalisé par le Conseil du patrimoine religieux, en collaboration avec le MCC. De plus, dans le Répertoire du patrimoine bâti de la Ville de Québec, il est qualifié d’« un des meilleurs exemples parmi les églises modernes du diocèse de Québec ». Nous voilà donc devant un cas où le ministère détient l’information pour intervenir de manière diligente en matière de patrimoine, un domaine qui ne se réduit pas aux biens classés, comme le constate le rapport sur la gouvernenance du patrimoine soumis au ministre de la Culture et des Communications par Michelle Courchesne et Claude Corbo en 2016 et resté lettre morte.
Une présence monumentale
La valeur patrimoniale de l’église Saint-Louis-de-Fance dépasse de loin son intérêt architectural. La construction de l’église a contribué à l’urbanisation du plateau de Sainte-Foy amorcée dans les années 1950, tout comme les deux écoles primaires Saint-Louis-de-France I et II et le centre culturel éponyme érigés peu de temps auparavant. Ces édifices s’alignent sur la route de l’Église, à front d’un vaste ilot occupé en bonne partie par le parc Saint-Louis-de-France. Le grand tambour de la nef assure une présence monumentale dans un quartier au grain fin, formé de bungalows. Cette présence n’est pas seulement physique, elle est aussi mémorielle, nombre de paroissiens y ayant célébré mariages, baptêmes et funérailles.
Une église surnuméraire
La sauvegarde du patrimoine carbure à la menace. Que l’église Saint-Louis-de-France soit à vendre n’est pas une nouvelle. En juillet 2019, Radio Canada annonçait que la paroisse Notre-Dame-de-Foy était en pourparlers pour la vente de deux de ses huit églises, Notre-Dame-de-Foy et Saint-Louis-de-France. Elle concrétisait ainsi la recommandation de rationalisation de son parc immobilier formulé dans le plan directeur dévoilé lors du lancement de l’année pastorale 2017-2018.
Trois églises y sont déclarées excédentaires à la suite d’un exercice qui a tenu compte de la desserte du territoire et de la vitalité religieuse et communautaire de chacun des lieux, de même que de leur santé financière respective et de leurs caractéristiques architecturales spécifiques. Ce dernier critère relève de qualités en lien avec l’usage ; la sélection n’a aucunement tenu compte de la valeur patrimoniale pourtant établie par la Table de concertation régionale à laquelle participe un représentant du diocèse. Si l’intérêt de la forme circulaire Saint-Louis-de-France est reconnu, est noté par ailleurs qu’elle est la moins fréquentée de la paroisse et que son évaluation municipale est la plus élevée. Dans le journal L’Appel, le président de l’Assemblée de la fabrique Notre-Dame-de-Foy se réjouit que l’église Saint-Louis-de-France soit remplacée par une maison des aînés, une vocation qui rejoint leurs attentes en regard du futur de leurs propriétés excédentaires.
Un autre avenir possible ?
En matière de reconversion des lieux de culte, le Québec a une longue expérience. Plusieurs ont été vendus, sans pour autant être démolis. L’église Saint-Louis-de-France s’élève sur un grand terrain occupant la tête d’un ilot très peu dense. Pour construire la maison des aînés, faut-il démolir toute l’église ? Élément le plus caractéristique, la nef ne peut-elle être conservée et le nouvel équipement l’englober en s’implantant le long des rues Valmont et Sieur-d’Argentueil, quitte à déborder sur le parc municipal adjacent ? Sans doute, en ces temps de crises, y a-t-il urgence d’offrir aux aînés, les premières victimes de la pandémie, des milieux de vie adaptés et confortables et de relancer l’économie en stimulant le secteur de la construction. Cependant, un doute subsiste : toutes les études préalables ont-elles été menées en amont de la décision de raser Saint-Louis-de-France et, dans ce dossier, aux implications patrimoniales, le MCC a-t-il joué le rôle de chef de file qu’on attend de lui ? De plus, le rapport coûts/bénéfices en termes de développement durable a-t-il été sérieusement évalué ?
France Vanlaethem, professeure émérite, UQAM, présidente, Docomomo Québec 2020-12-12
La destruction d’éléments patrimoniaux est toujours révoltante pour ceux qui défendent la présence de l’histoire et de la mémoire dans le paysage. L’église Saint-Louis-de-France est un de la petite dizaine de lieux de culte catholique érigée sur le plateau de Sainte-Foy, au cours des années 1960, alors que l’urbanisation avait gagné ce territoire.
pour aller plus loin
Culture, Communications, Condition féminine, «Fiche 2003-03-130», Inventaire des lieux de culte du Québec, 17 pages.
Fabrique de la paroisse de Notre-Dame-de-Foy, Plan directeur immobilier, 20 pages, en ligne.
«L'Église. Historique», Église Notre-Dame-de-Foy (Visitation-de-la-Bienheureuse-Viege-Marie), Québec, Qc, en ligne.
Varry, Jacques, « Église St-Louis de France, Québec », Architecture Bâtiment Construction, vol. 17, n° 191, mars 1962, p. 26-30.