N.-D.-de-Fatima, la seule église moderne de Saguenay à sauver ?
Le cône immaculé si caractéristique de l’église Notre-Dame-de-Fatima pointe toujours à l’horizon de Jonquière. Mais pour combien de temps encore ? Si de loin, il donne l’illusion d’une présence urbaine inchangée depuis l’érection canonique du lieu de culte en 1963, de proche, l’impression est tout autre. Le bâtiment est délabré et barricadé et ses abords ont été profondément modifiés. Le promoteur qui acheta le bâtiment en 2009, a déjà livré plusieurs des «maisons de ville» planifiées dans le projet résidentiel de La Place de la Charmille conçue pour rentabiliser le terrain, tout en imaginant une deuxième vie pour l’église transformée en condominium «de luxe». Mais ce qui devait arriver est arrivé : en juillet 2012, le promoteur a introduit une demande de démolition afin de la décapiter pour la transformer cette fois en centre communautaire d’un seul niveau. Ce qui est étonnant, c’est qu’aujourd’hui, seulement, les citoyens se mobilisent pour conserver l’église Notre-Dame-de-Fatima, alors que sa conversion en immeuble à appartements avait déjà signé l’arrêt de mort de ce bien culturel. Que serait-il resté de l’oeuvre des architectes Léonce Desgagnés et Paul-Marie Côté une fois le volume simple du sanctuaire troué de fenêtres, voire hérissé de balcons ? Bien que non protégée, tout autant perdue aurait été la majestueuse nef éclairée par les hauts vitraux colorés qui assurent la jonction entre les deux parois totalement opaques qui forment le cône, une fois, divisée horizontalement par les planchers d’étage ? Comment une autorisation de bâtir a-t-elle pu être délivrée par l’arrondissement de Jonquière de la Ville de Saguenay pour ce site patrimonial protégé depuis 2006 dans le cadre de la Loi sur le patrimoine culturel sur la base d’un tel projet ? Comment les autorités responsables ont-elles pu croire que le recyclage résidentiel de l’église était été un projet crédible tant du point de vue fonctionnel, technique que financier ?
Est-il encore judicieux de sauver l’église Notre-Dame-de-Fatima ? Une telle question peut choquer, alors que le milieu manifeste son intérêt pour la préservation du bâtiment désacralisé en 2004 et depuis lors en déserrance, aucun nouvel usage durable ne lui ayant été trouvé. Le site patrimonial est-il encore suffisamment intègre alors que la réalisation du projet de La Place de la Charmille est bien entamée ? Il faut constater que certains des éléments identifiés comme caractéristiques de la valeur du site dans la fiche du Répertoire du patrimoine culturel du Québec ont disparu, principalement ceux liés à l’implantation paysagère : le terrain sur laquelle s’élève l’ancienne église, n’est plus dégagé, mais encombré par les maisons de ville et plusieurs des arbres et arbustes qui l’agrémentaient ont été abattus. Certes, l’édifice religieux a conservé ses principaux traits architecturaux, mais il est en bien mauvais état après plusieurs années de manque chauffage et d’entretien.
Ce questionnement impertinent est motivé par l’intérêt que nous portons au patrimoine moderne de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean particulièrement abondant et remarquable, comme le montrent les publications de Luc Noppen et Lucie K. Morisette sur le sujet. Dans les années 1950 et 1960, à Jonquière, Chicoutimi et LaBaie (aujourd’hui arrondissements de Saguenay), mais encore à Roberval, Saint-Félicien, Dolbeau-Mistassini, Larouche,… les jeunes architectes qui avaient adhéré au modernisme ont pu exercer leur talent, construisant écoles, caisses populaires, hôtels de ville, résidences privées,… Rapidement, la réputation de certains dépassa leur région d’origine, tel Paul-Marie Côté auquel le musicien Gilles Lefebvre commanda les plans du centre d’art Orford ou encore Evans Saint-Gelais qui, en collaboration, réaliserait le complexe G sur la colline Parlementaire à Québec. D’ailleurs, à Saguenay, l’église Notre-Dame-de-Fatima n’est pas la seule à être protégée pour son intérêt architectural.
En 2006, la Ville de Saguenay a cité sept autres églises modernes à titre de site patrimonial. Aujourd’hui, parmi celles-ci, certaines sont désaffectées et aussi menacées de démolition selon André Reid qui, voilà une dizaine d’années, acquit l’église Sainte-Cécile dessinée par l’architecte Jean Coutu afin de la transformer en salle d’opéra, un autre projet qui avorta. D’autres sont toujours ouvertes au culte et en bon état. Aussi, ne faut-il pas considérer l’avenir de l’église Notre-Dame-de-Fatima dans la perspective plus large du patrimoine religieux moderne de Saguenay d’une part et de l’oeuvre des architectes d’autre part ? Certes, dans ce cas, les citoyens ont manifesté leur attachement, un ingrédient devenu indispensable dans la sauvegarde du patrimoine. Mais, la première condition favorable à sa conservation fait toujours défaut : son affectation durable à une fonction utile à la société, comme le précise l’article 5 de la Charte de Venise. N’est-il pas plus réaliste de se préoccuper de la sauvegarde des lieux de culte modernes, églises et chapelles, toujours en usage ? FVL 21-01-2013
Sources
Belley-Murray, Katherine, «Georges Bouchard espère un miracle», La Presse, 18 décembre 212, en ligne http://www.lapresse.ca/le-quotidien/actualites/201212/18/01-4604905-georges-bouchard-espere-un-miracle.ph. Consulté le 14 janvier 2013.
Côté, Daniel, «Les leçons de Fatima», La Presse, 3 décembre 2012, en ligne http://www.lapresse.ca/le-quotidien/opinions/daniel-cote/201212/03/01-4600191-les-lecons-de-fatima.php. Consulté le 14 janvier 2013.
Côté, Daniel, «Plaidoyer de Marcel Barbeau. Sauver Fatima et ses vitraux», La Presse, 3 décembre 2012, en ligne. Consulté le 14 janvier 2013.
De La Sablonnière, Johanne, «Développement domiciliaire de 10 M$ autour de l’église de Fatima», Le Courrier du Saguenay, 24 août 2011, en ligne http://www.courrierdusaguenay.com/Actualites/2012-07-18/article-3030888/FATIMA-11-prend-la-releve-des-condos-de-luxe/1. Consulté le 14 janvier 2013.
De La Sablonnière, Johanne, «Le dossier de l’église de Fatima transféré à la Ville», Le Courrier du Saguenay, 31 août 2012, en ligne http://www.courrierdusaguenay.com/Actualites/2012-08-31/article-3065284/Le-dossier-de-l%26rsquo%3Beglise-Fatima-transfere-a-la-Ville/1. Consulté le 14 janvier 2013.
De La Sablonnière, Johanne, «Le déclin de l’Église de Fatima », Le Courrier du Saguenay, 14 novembre 2012, en ligne http://www.courrierdusaguenay.com/Actualites/2012-11-14/article-3118513/Le-declin-de-l%26rsquo%3BEglise-Fatima/1. Consulté le 14 janvier 2013.
Savard, Dominique, «FATIMA-11 prend la relève des condos de luxe», Le Courrier du Saguenay, 18 juillet 2012, en ligne http://www.courrierdusaguenay.com/Actualites/2012-07-18/article-3030888/FATIMA-11-prend-la-releve-des-condos-de-luxe/1. Consulté le 14 janvier 2013.
«Site du patrimoine de l’Église-de-Notre-Dame-de-Fatima», Répertoire du patrimoine culturel du Québec, en ligne http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca. Consulté le 15 janvier 2013.
«Site du patrimoine de l’Église-de-Notre-Dame-de-Grâce», Répertoire du patrimoine culturel du Québec, en ligne Site du patrimoine de l’Église-de-Saint-Raphaël», Répertoire du patrimoine culturel du Québec, en ligne http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca. Consulté le 15 janvier 2013.
«Site du patrimoine de l’Église-de-Saint-Isidore», Répertoire du patrimoine culturel du Québec, en ligne http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca. Consulté le 15 janvier 2013.
«Site du patrimoine de l’Église-de-Saint-Luc», Répertoire du patrimoine culturel du Québec, en ligne http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca. Consulté le 15 janvier 2013.
«Site du patrimoine de l’Église-de-Saint-Mathias», Répertoire du patrimoine culturel du Québec, en ligne http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca. Consulté le 15 janvier 2013.
«Site du patrimoine de l’Église-de-Saint-Raphaël», Répertoire du patrimoine culturel du Québec, en ligne http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca. Consulté le 15 janvier 2013.
«Site du patrimoine de l’Église-de-Sainte-Claire», Répertoire du patrimoine culturel du Québec, http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca. Consulté le 15 janvier 2013.
Villeneuve, Denis, «Selon André Reid, propriétaire de l’église Sainte-Cécile : Saguenay risque une vague de démolitions», La Presse, 24 décembre 212, en ligne. Consulté le 14 janvier 2013.
Le cône immaculé si caractéristique de l’église Notre-Dame-de-Fatima pointe toujours à l’horizon de Jonquière. Mais pour combien de temps encore ? Si de loin, il donne l’illusion d’une présence urbaine …