
La mémoire dans une «boîte de métal»
Québec efface-t-elle son avant-garde ?
Le 24 février 2025, la Ville de Québec annonce la démolition du Colisée de Québec, invoquant un coût trop élevé pour sa mise aux normes et estimant plus abordable sa déconstruction pour 20 M$ (en date d’aujourd’hui, on parle déjà de 30 M$). Cette décision soulève des questions fondamentales sur la gestion du patrimoine moderne et la transformation urbaine.
Derrière l’enveloppe métallique ajoutée dans les années 1980, qui masque aujourd’hui son architecture originale, se cache une structure de béton armé remarquable, à la fois audacieuse et raffinée dans son expression. À l’origine, le Colisée a été conçu par Robert Blatter et G. Fernand Caron, architectes, avec Pierre Rinfret et Maurice Bouchard, architectes associés. Ils visaient à créer un volume compact abritant un vaste espace intérieur, coiffé d’une structure en béton armé audacieuse. La toiture, épaisse d’environ cinq pouces, était constituée d’un voile mince de béton conçu par les consultants new-yorkais Roberts & Schaeffer (plus spécifiquement la structure légère est signée par l’ingénieur Anton Tedesko), une solution particulièrement novatrice pour l’époque.
L’édifice s’inspire du Streamline Moderne – ou style paquebot –, une variante tardive de l’Art déco apparue dans les années 1930 aux États-Unis, reconnaissable à ses lignes courbes et ses volumes aérodynamiques évoquant le mouvement et la vitesse. Réalisée au cœur du XXe siècle, cette œuvre figurait parmi les plus avant-gardistes de la province. Le groupe d’architectes y a démontré une maîtrise remarquable des formes modernes et des matériaux, en accord avec les courants internationaux de l’époque.
D’un projet visionnaire à une disparition programmée
Le Colisée ne peut être envisagé indépendamment de son contexte : il appartient à l’ensemble d’ExpoCité, héritier des expositions provinciales du début du XXᵉ siècle. Contrairement à l’Expo de Trois-Rivières (1939), qui demeure relativement préservée, celle de Québec a subi des modifications successives qui ont progressivement effacé sa cohérence urbaine. L’argument avancé pour justifier la démolition repose sur une logique d’optimisation du site, une rhétorique qui dissimule souvent une volonté implicite d’effacement du passé. Les termes employés – « requalification », « maximisation du potentiel » – traduisent une approche strictement économique, occultant la valeur intrinsèque du bâti et son potentiel pour un projet intégrant mémoire et innovation.
Patrimoine et projet urbain : une alternative à la tabula rasa
Plutôt que de considérer la démolition comme unique solution, il serait pertinent de réévaluer l’avenir du Colisée à travers une stratégie de réutilisation adaptative. Pourquoi ne pas organiser un concours international d’idées afin d’intégrer l’édifice dans une nouvelle programmation urbaine ? L’architecture ne se réduit pas à ses matériaux : elle structure la relation entre individus et espace.
À l’international, de nombreux exemples montrent que la conservation du patrimoine moderniste peut être un levier de renouveau urbain. Il ne s’agit pas seulement d’un débat entre démolition et commémoration, mais d’une opportunité pour repenser la transformation des espaces urbains. La réutilisation du bâti, enjeu central de l’urbanisme et de la transition écologique, nécessite un changement de paradigme intégrant mémoire et adaptation.
Docomomo Québec, l’École d’architecture de l’Université Laval et l’École de design de l’UQAM partagent un engagement commun envers la documentation, la conservation et la valorisation du patrimoine architectural du Mouvement Moderne, à travers des actions conjuguées de recherche, de sensibilisation et de formation. Ensemble, ils affirment l’importance de transmettre une culture du projet éclairée, ancrée dans une reconnaissance critique de cet héritage du XXe siècle.
Dans cette perspective, les universités jouent un rôle essentiel. À travers des approches pédagogiques articulant théorie, projet et expertise technique et scientifique, elles forment une nouvelle génération de conceptrices, concepteurs, chercheuses et chercheurs capables d’intervenir avec rigueur, créativité et responsabilité sur le patrimoine bâti moderne. Cette formation, en résonance avec les objectifs de Docomomo Québec, participe activement à l’évolution des pratiques vers une vision durable, inventive et inclusive du projet architectural et urbain.
La disparition du Colisée de Québec ne concerne pas seulement un édifice emblématique : elle illustre un effacement progressif du patrimoine moderne, encore trop souvent marginalisé. Dans ce contexte, il devient indispensable de dépasser les oppositions entre conservation et développement, et de promouvoir une approche éclairée, capable de conjuguer mémoire, innovation et durabilité.
Auteurs: Fabio Sedia et François Dufaux, professeurs à l’École d’architecture de l’Université Laval, Québec
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