La villa Arpel, vedette de Mon Oncle
Cube blanc élevé dans le fond de son terrain, la villa des Arpel est toute en représentation. Plus d’avant et d’arrière, de séparation nette entre le public et le privé une fois le mur de la propriété franchi, tout est dessiné pour impressionner le visiteur : le jardin avec ses parterres géométriques qui n’est pas sans faire penser à celui cubiste de l’architecte Gabriel Guervrekian pour la villa de Noailles en 1925, son plan d’eau agrémenté d’une fontaine en forme de dauphin que la maitresse de maison s’empresse d’actionner dès que quelqu’un sonne à grille, son chemin sinueux menant à la porte vitrée donnant directement dans le séjour, blanc, meublé avec parcimonie de chaises et tables filiformes. Dans la cuisine, tout est mécanique, voire automatique, les sièges s’ajustent en hauteur, pour permettre notamment au jeune fils Gérard de manger proprement, les armoires s’ouvrent alors qu’on les approche, comme le constate l’Oncle, le frère de madame, et les appareils ménagers sont nombreux. Cette maison contraste avec l’environnement urbain quotidien qui est celui de l’Oncle et de la majorité des Français dans le Paris d’après-guerre, gris, dense, vétuste, où les voitures sont encore peu nombreuses et noires ou grises, alors qu’elles sont de marque française, à la différence de la rutilante Chevrolet Bel air qui trône dans le garage. Monsieur Arpel l’utilise pour aller à son usine de fabrication de tuyaux en plastique.
Le peintre Jacques Lagrange, le fidèle collaborateur de Jacques Tati depuis son premier film, Les Vacances de Monsieur Hulot (1953), à la fois coscénariste et conseiller artistique, est le concepteur de cette maison, version moderniste du pavillon de banlieue si cher aux Français, comme l’analysera le Centre de recherche en urbanisme fondé par Henri Lefebvre, une dizaine d’années plus tard. Décor du second film de Tati, Mon Oncle (1958), la villa Arpel est, à la fois, une utopie et une caricature, dans le sens où jamais la maison de banlieue, typique, standard, sera moderne en France. Alors que, dès les années 1970, elle deviendra une alternative aux grands ensembles pour les citoyens qui profitaient de la croissance économique, elle aura des accents régionalistes. Plusieurs ont vu dans Mon Oncle, une critique précoce de la modernisation sociale d’après-guerre, de sa nature aliénante plutôt qu’émancipatoire, la technologie et l’individualisme balayant la tradition et la convivialité.
En 2009, à l’occasion de la rétrospective consacrée au cinéaste Jacques Tati à la Cinémathèque française, la villa Arpel fut reconstruite à l’identique au centre d’art Le Cent-Quatre à Paris. En 2014, elle sera à nouveau à l’avant-plan cette fois de la participation de la France à la Biennale d’architecture de Venise dont l’historien Jean-Louis Cohen est le commissaire. À la différence de la contribution canadienne, celle-ci relève le défi lancé par Rem Koolhaas, le commissaire général de la Biennale, visant à faire le point sur la modernité architecturale et sa nature universalisante lors cette manifestation placé sous le signe des Fondamentaux. Intitulée «La modernité, promesse ou menace ?», la participation de la France se déclinera en trois entités : une exposition, où, outre la villa Arpel, Jean Prouvé sera à l’honneur; un film de Teri Wehn-Damisch (la réalisatrice de Citizen Lambert : Jeanne d’Architecture); un livre où six auteurs analyseront 101 édifices marquants. FVL, 22-04-2014.
Pour en savoir plus…
«Documentaire sur le film Mon Oncle de Jacques Tati», AngelEvil Canada, en ligne. Consulté le 22 avril 2014.
Larrochelle, Jean-Jacques, «La villa Arpel, décor de Jacques Tati, vedette du pavillon français à la Biennale de Venise», Le Monde, 19 avril 2014.
«Mon Oncle de Jacques Tati : Bande-annonce», Carlotta France, en ligne.
Raymond, Henri, Nicole Haumont, Marie-Geneviève Raymond et Antoine Haumont, L’habitat pavilionnaire, Paris, Centre de recherche en urbanisme, 1966, 150 pages.
«Villa Arpel. Le montage», Le Cent-Quatre, en ligne.
Cube blanc élevé dans le fond de son terrain, la villa des Arpel est toute en représentation. Plus d’avant et d’arrière, de séparation nette entre le public et le privé …