Radio-Canada (1966-1973), un complexe défini par la fonction

DESCRIPTION ET SITUATION DU COMPLEXE

La Maison de Radio-Canada occupe un vaste quadrilatère à peu près régulier de 10 hectares situé dans la partie est du centre-ville de Montréal, entre le boulevard René-Lévesque et la rue Saint-Antoine dans le sens nord-sud, et les rues Papineau et Wolfe dans le sens est-ouest.

Le complexe a été conçu et construit pour abriter les réseaux français de la Société Radio-Canada, télévision et radio, les stations locales de Montréal de télévision et de radio françaises et anglaises, les services de Radio-Canada International, les services pour le Nord et les Forces armées, ainsi que tout l’environnement administratif et de soutien qui vient avec ces services complexes de production.

Le complexe mesure 273 mètres d’est en ouest, 168 mètres du nord au sud, et 120 700 mètres carrés en surface. Il occupe environ le tiers – la partie centrale – du vaste terrain acquis en 1963 par Radio-Canada de la Ville de Montréal qui y avait mené un immense chantier d’acquisition et démolition du bâti de ce quartier populaire et ouvrier du Centre-Sud. Le reste du terrain est occupé par une esplanade (côté nord) et deux terrains de stationnement (est et ouest) pouvant accueillir 990 véhicules et réservés aux employés.

Une tour hexagonale de 100 mètres et 23 étages domine le complexe.

L’architecte Tore Bjornstad a conçu la tour où les services administratifs sont installés. Les studios et autres espaces de production, ainsi que l’aménagement de la tour, sont le résultat du travail de planification et de consultations mené auprès des futurs usagers et de la direction montréalaise de la Société par les architectes de Radio-Canada Edwin Sydney et Paul Delisle, sous la coordination de l’architecte de projet Cornelius Verhagan. L’ingéniérie du complexe était assurée par les Services de l’ingéniérie de Radio-Canada sous la direction des ingénieurs N.R Grover et André Saint-Marie.

La MRC a été construite par le consortium Janin-Foundation, mis sur pied pour le projet, au coût de 66 millions $. Interrompus après que les travaux de fondation eurent été complétés par la firme Simard Beaudry, les travaux de construction et d’aménagement auront duré de 1966 à 1973.

Le bâtiment innovait par la qualité acoustique exceptionnelle de ses installations de télévision et de radio. Il était aussi bien en avance sur l’architecte verte : la chaleur générée par l’éclairage des studios était récupérée pour chauffer la tour. Le surplus de chaleur, l’été par exemple, était évacué par un système alimenté par l’eau du fleuve tout près.

La Maison de Radio-Canada  été inaugurée le 7 décembre 1973 par le premier ministre du Canada Pierre Elliot Trudeau.

 

UNE ARCHITECTURE BASÉE SUR LA CIRCULATION

La fin des années 1950 et le début de la décennie 1960 vit en Occident la construction de vastes ensembles résolument modernes pour satisfaire les besoins de la radio et de la télévision, alors en plein essor.

La radiotélévision canadienne s’inscrit dans cette démarche planétaire, et les modèles étrangers auront largement inspiré les concepteurs de la MRC. Citons à ce propos parmi les comparables le Television Centre de la British Broadcasting Corporation, conçu par l’architecte Graham Dawbarn et construit en 1960 à Londres, qui fut le premier centre au monde construit spécifiquement pour la production de télévision ; la Maison de la radio à Paris de l’architecte Henry Bernard, dont la construction commençat en 1958 et qui fut inaugurée en 1963 par le président français Charles de Gaulle ; et aussi l’édifice conçu en 1961 par l’architecte américain d’origine finlandaise Eero Saarinen pour la Columbia Broadcasting System (CBS), alors la plus grande chaîne de radio et de télé américaine, pour son siège social de New York construit durant la décennie.

L’idée de base des projets britannique et français est celle de la circulation. La forme architecturale est en effet dictée par le programme architectural du commanditaire : comment intégrer dans un bâtiment des artistes, des techniciens, des ouvriers, chacun avec son projet et son horaire, qui doivent circuler efficacement, mais dont l’ensemble du travail doit être coordonné? Les concepteurs anglais et français ont choisi le cercle comme élément de base : l’édifice de la BBC a la forme d’un point d’interrogation, celui de l’ORTF un double cercle concentrique.

Au Canada, les concepteurs de Radio-Canada ont choisi l’arc de cercle : la base du complexe a la forme d’une ellipse traversée en son centre par une rue souterraine laquelle est bordée de chaque côté par des blocs fonctionnels : studios, ateliers, magasins. Pour la tour centrale, ils ont retenu l’idée des étages en forme de  « beignet » en rejetant les colonnes vers le périmètre de l’édifice avec une structure centrale portante qui renferme la fonction circulatoire (escaliers et ascenseurs).

Notons que toute cette théorie architecturale a subi les pressions de l’évolution et que le complexe architectural a été modifié à plusieurs reprises depuis son inauguration, suivant les besoins sans cesse changeant de ses occupants.

 

L’ÉTAT CANADIEN ET LE BRUTALISME ARCHITECTURAL

Après une première phase dominée par le modèle américain des gratte-ciel de verre et de métal construits pour le capital financier principalement américain (la Place Ville-Marie), le paysage  architectural canadien a été occupé dans les années 1960 par l’apparition d’une série d’édifices publics ou parapublics où le béton est devenu le matériau dominant. Ces édifices sont des pavillons universitaires, centres culturels, théâtres, musées, dont plusieurs ont été initiés par l’État fédéral et ses agences.

Certains qualifient cette période architectuale de « brutaliste », ce style architectural d’origine britannique qui a connu une grande popularité dans les 1950, 1960 et 1970. Les pionniers britanniques de l’architecture brutaliste (entre autres le couple d’architectes Peter et Alison  Smithson)  s’inspirent alors des réalisations avec le béton brut (d’où le nom de «brutalisme») de l’architecte franco-suisse Le Corbusier.

Comme manifestation du courant « brutaliste de forteresse » canadien, la Maison de Radio-Canada apparaît à l’observateur ordinaire comme une forme massive en béton fortement implantée dans le sol. En ce sens, elle représente un élément de sécurité tout en projetant une certaine puissance, toutes deux incarnation des fonctions qu’on reconnaît à l’État. Il n’est d’ailleurs pas innocent qu’au Québec, où un autre État tentait d’émerger et se posait en challenger de l’État canadien, la Maison de Radio-Canada fut en général reçue négativement comme étant une « intrusion » de l’État fédéral dans le tissu urbain de Montréal et du Québec.

 

LES PROJETS DE RADIO-CANADA EN 2017

Selon un article de la Presse Canadienne paru dans La Presse.ca le 17 avril 2017, le groupe Broccolini entreprendra dès la fin de l’été la construction du nouvel édifice à l’angle du boulevard René-Lévesque et de la rue Papineau, dans l’est du centre-ville.

Selon l’échéancier prévu, les employés de Radio-Canada déménageront vers leurs nouvelles installations au début de 2020. Radio-Canada sera locataire unique en vertu des termes d’un bail d’une durée de 30 ans. Le consortium qui mène le projet est formé de Broccolini ; Beïque Legault Thuot Architectes (BLTA) ; Dupras Ledoux ingénieurs ; et Quadrangle Architects Limited.

On peut voir un document infographique sur le projet de nouvelle maison de Radio-Canada en ligne. 

L’emménagement du diffuseur marquera alors le coup d’envoi du projet de revitalisation de la partie ouest du terrain – plus de 3 millions de pieds carrés -, puisque le Conseil du trésor du Canada a également entériné la vente des installations existantes et de la partie ouest du terrain au Groupe Mach.

La revitalisation du quadrilatère occupé actuellement par Radio-Canada devrait inclure dans sa partie ouest une mixité d’usages comprenant notamment des logements sociaux et communautaires, des logements abordables et des espaces verts. La proposition de Groupe Mach prévoit aussi une éventuelle « reconnexion de certaines rues » (on mentionne la rue Alexandre-De Sève), pour favoriser une meilleure intégration avec le reste du quartier.

Le projet du Groupe Mach comprend la rénovation de la tour emblématique et la construction d’un tout nouveau quartier sur le terrain actuellement occupé par le stationnement ouest de Radio-Canada. On peut avoir un aperçu du projet sur le site du Groupe Mach, en ligne.

Signalons en terminant l’existence d’une étude patrimoniale par Mario Brodeur et Conrad Gallant parue en novembre 2008 pour l’Office de Consultation publique de Montréal à l’occasion d’une phase préliminaire de la relocalisation des opérations de Radio-Canada. On peut consulter le document en ligne.

MD, 09-08-2017

 


Quelques illustrations du projet

 

La Maison de Radio-Canada (1966-1973), vers 1975. (Source : Radio-Canada)

Plan d'un étage de la tour.

Plan du troisième étage du podium.

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